moit moit 11

won't you celebrate with me
what i have shaped into
a kind of life? i had no model.
born in babylon
both nonwhite and woman
what did i see to be except myself?
i made it up
here on this bridge between
starshine and clay,
my one hand holding tight
my other hand; come celebrate
with me that everyday
something has tried to kill me
and has failed.

Lucille Clifton


J’ai fait des pancakes aux myrtilles avec tout le levain. Enfin avec l’un des deux levains. J’ai vidé tout un pot, après deux semaines à nourrir, veiller, prendre soin, deux semaines à essayer de voir lequel des deux ressemblait le plus au tout premier. C’est finalement le moins vigoureux qui a fait des pancakes aux myrtilles que je n’ai pas mangés. T’aurais pu les mélanger m’a dit ma fille… Mais peut-on mélanger des levains de farines différentes ? Bref, j’ai gardé le plus costaud. Limite le choix de Sophie.

J’ai fait deux levains parce que le tout premier a cuit. Il faisait un peu frais les premiers jours de mai alors je le mettais dans le four éteint pour qu’il soit protégé. Jour après jour, je le mettais, je l’enlevais, je le mettais, je l’enlevais, je le mettais, et vendredi 8 mai j’ai oublié de l’enlever et en préchauffant le four pour faire un gâteau, il a cuit. C’est bête mais j’ai pleuré.

Ce premier levain m’était sorti des mains en mars, les premiers jours de confinement. Énorme. Comment c’est possible de produire un truc pareil ! Jour un, 10 g de farine, 10 g d’eau et une petite cuillerée de miel. Hop je mélange avec le manche du pilon en bois. En fait, c’est rien 10 g de farine, 10 g d’eau et un peu de miel. Je suis souvent étonnée face à la proportion des choses. Il est quelle heure déjà ? Neuf heures et quelques. Jour deux 9 heures, 20 g de farine, 20 g d’eau, pas de miel. Jour trois 9 heures, 40 g de farine, 40 g d’eau. Jour quatre 9 heures, incroyable il y a des bulles partout. C’est surprenant. J’avais oublié ce que je faisais. C’était déjà bien de nourrir une pâte à la même heure jour après jour et de mélanger, flof, flof, flof. 

Le truc c’est qu’on ne mange pas de pain à la maison. Du coup on en bouffe. Ça ne s’arrête pas. Je mets la radio et je pétris en écoutant les histoires des gens. L’autre jour j’ai découvert Lucille Clifton, poétesse afro-américaine dont les poèmes ont la mélodie de ceux ayant fait l’expérience aiguë de la ségrégation et du racisme. Je l’ai découverte en pétrissant cette boule d’angoisse et de soulagement, imprévu faut le dire, d’avoir si peu de décisions à prendre.
J’écoute Homage to my hips à la radio.

these hips are big hips
they need space to
move around in.
(…)

Rien de plus rassérénant que l’inconcevable exprimé dans des mots simples. Ça produit de la poésie avec à l'intérieur de la musique, de la danse même, nécessaire quand dehors nous sommes encore à black lives matter. Suis-je parvenue à ce stade où à force de je ne suis plus noire ?

Pains aux farines diverses, parfois mélangées, pains aux noix, brioches, pancakes, banana bread, crêpes, ciabatta, scones, foccacia, muffins, buns à hamburger, pâtes à pizza, cinnamon rolls pour les 18 ans empêchés de ma fille ainée, cake aux olives, nans, lavash, pains kebab... tout ça est sorti. Des prouesses honnêtement. Sauf les croissants qui, si tu fermes les yeux on dirait des grissini a dit mon fils. J’ai arrêté la viennoiserie. Mon petit frère m’avait prévenue : la viennoiserie c’est autre chose Djamila. Viens, on continue dans le pain. Je vais faire des hokkaïdo, une brioche japonaise façon tangzhong m’a-t-il dit. Et on rit, heureusement ça fait passer le temps.